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"Polars en Nord" a 15 ans

Dernière mise à jour : 28 janv. 2021

Il y a quinze ans, en novembre 2005, paraissaient les premiers titres de la collection Polars en Nord aux éditions Ravet-Anceau. Comment cette collection est-elle née ? D’où vient l’idée ? Retour sur les méandres de la création de ce qui fut une nouveauté emblématique qui permit aux polars nordistes de trouver leur place en librairies.


 

Cela fait plus de quarante ans que je lis des romans policiers. J’ai toujours été fan de ce genre de littérature. J’ai commencé par les San-Antonio quand j’étais lycéen, puis j’ai dévoré les néo-polars français des années 70, les Manchette, ADG, Jaouen et consorts, avant de me tourner vers les classiques de la Série Noire. Malgré la qualité des romans noirs d’outre-Atlantique (Irish, Goodis, Latimer…), je gardai un œil sur ce qui se publiait côté français. C’est ainsi que je découvris les premiers livres de Daniel Pennac et Didier Daeninckx à leur parution. C’est un roman de ce dernier qui fit naître mon intérêt pour le polar nordiste. Le géant inachevé, publié à la Série Noire en 1984, envoyait l’inspecteur Cadin à Hazebrouck pour une enquête en pleins préparatifs du Carnaval. Le fait que l’histoire se déroule dans le Nord, cadre inhabituel pour l’époque, fit office de révélateur. Tout à coup, loin de New York, Chicago ou Los Angeles, les personnages se mettaient à évoluer dans des décors que je connaissais, rendant l’intrigue plus réaliste et vraisemblable. C’était l’intrusion réussie de la fiction dans la réalité géographique, avec des enquêtes en décors réels.



Je me mis à la recherche d’autres polars chtis, mais ma quête tourna court. Il ne semblait pas y en avoir, ou si peu. Au même moment, les polars bretons et marseillais commençaient à faire parler d’eux dans la foulée d’écrivains comme Jean-Claude Izzo et Gilles Del Pappas. Jean-Christophe Macquet, auteur nordiste rencontré lors de différents salons du livre dans le Nord-Pas de Calais, me raconta ses difficultés pour se faire publier et me confia les romans policiers qu’il avait auto-édités. Il y avait des auteurs de polars dans la région, mais les portes des maisons d’édition leur étaient fermées. Pourquoi ne pas monter une structure pour les publier ?

A l’époque, je m’occupais de Pays du Nord, magazine que j’avais créé en 1994. En complément de la revue, j’avais le projet de lancer un département édition pour réaliser des ouvrages régionaux, guides de randonnées, guides touristiques…

Les polars nordistes n’existaient pas, il n’y avait qu’à les inventer. Pour cela, il fallait avoir des manuscrits. Les colonnes du journal me permirent de lancer un appel sélectif aux auteurs potentiels. Il me fallait exclusivement des romans policiers se déroulant en Nord-Picardie. Une douzaine de lecteurs répondirent à ma demande, signe que le genre existait bel et bien, même s’il avait du mal à trouver des débouchés. Parmi les premiers manuscrits qui aboutirent entre mes mains, il y avait forcément des nanars, comme ce roman à énigme anglo-saxon d’une apprentie écrivaine de Lambersart dont j’ai oublié le nom. Elle avait effacé au Blanco le nom de la ville de Glasgow où se déroulait initialement son histoire et l’avait remplacé par Saint-Amand-les-Eaux pour faire couleur locale… Dans le lot, il y avait aussi des envois nettement plus intéressants. Cette première tentative me permit de faire connaissance avec les œuvres d’écrivains encore inconnus comme Léo Lapointe et Philippe Masselot. Leurs manuscrits rejoignirent ceux de Jean-Christophe Macquet pour démarrer ma future collection. Qui resta alors au stade de projet… Le gérant de Pays du Nord estimant, tout comme les libraires consultés, que ce type de littérature n’intéresserait personne.


Trois ans plus tard, quittant Pays du Nord pour lancer ma propre maison d’édition, je ressortis les manuscrits du tiroir où ils étaient soigneusement rangés depuis des mois. L’idée d’une collection de polars régionaux m’intéressait toujours autant. Au Salon du livre de Paris, je fis le tour des stands des autres régions françaises pionnières en la matière pour avoir quelques conseils. Au stand de la Bretagne, Alain Bargain[1], créateur des éditions du même nom, poids lourd du genre qui publiait des polars bretons depuis une dizaine d’années, m’envoya proprement balader, n’ayant pas envie d’aider un potentiel concurrent. L’accueil fut meilleur du côté de la Provence-Côte d’Azur où Jimmy Gallier (Editions Jigal) et François Thomazeau (L’Ecailler du Sud) me firent partager leur expérience. Avec une mauvaise nouvelle à la clé : L’Ecailler avait décidé de se développer dans le Nord et avait confié à un formateur de l’Ecole de journalisme de Lille, le soin de créer une collection de polars nordistes !

Avant de démarrer, j’avais déjà un concurrent. Qu’importe, je continuai à travailler sur mon projet. Ma maison d’édition s’appellerait les Editions Polars en Nord et publierait à raison de quatre titres par an des romans policiers se déroulant dans la région, écrits par des auteurs de la région et lus avant tout par des lecteurs de la région ! Jean-Christophe Macquet était prêt à me suivre, Philippe Masselot avait succombé aux charmes de l’Ecailler du Nord et Léo Lapointe s’était volatilisé dans la nature.

 
 

C’est à ce moment que Ravet-Anceau est entré en scène. Robert Demeulemeester, patron de Nord Compo à Villeneuve d’Ascq, maison-mère du plus vieil éditeur nordiste, avait entendu parler de moi et demanda à me rencontrer. Il voulait savoir ce que je comptais faire. Je lui expliquai mon idée, très éloignée du domaine d’activité de Ravet-Anceau, éditeur spécialisé dans les cartes et les plans de villes. Sa réponse fut inattendue :

« Venez travailler chez nous. Vous aurez carte blanche ! » C’est ainsi que je me suis retrouvé éditeur salarié aux éditions Ravet-Anceau. Plus tard je compris la raison de l’intérêt de RD (diminutif de Robert Demeulemeester) pour mes polars couleur locale : Ravet était en difficulté. L’essor des GPS ayant réduit à peau de chagrin le marché des cartes routières et des plans de villes, il lui fallait absolument diversifier l’activité éditoriale pour ne pas disparaître. Je me suis toujours demandé quelle aurait été sa réponse si je lui avais proposé de faire des romans pornographiques…


Confortablement installé au sein d’une maison centenaire, bien implantée dans les librairies de la région avec sa propre équipe commerciale, je pouvais travailler l’esprit tranquille sans avoir à me soucier du financement d’une hypothétique série de polars chtis auxquels toujours personne ne croyait.



Mon premier challenge fut de retrouver la trace du dénommé Léo Lapointe. Il avait quitté son emploi au rectorat de Lille, changé de vie et d’adresse, et Lapointe n’était pas son vrai nom. Par chance, une de ses anciennes collègues, qui avait lu son manuscrit, nous remit en contact. Etonné que le texte des Hérons se cachent pour mourir (titre original du Vagabond de la Baie de Somme) n’ait pas sombré dans les oubliettes, il accepta d’être le n°1 de la collection qui allait naître à l’automne 2005. Le n°2 fut un polar médiéval de Jean-Christophe Macquet, L’Anneau de la Myère, et le 3e un roman policier classique d’Emmanuel Sys, La Morte du canal, que les Editions du Masque n’avaient pas daigné publier.


Pour créer les couvertures, je demandais aux graphistes de Nord Compo de s’inspirer de la ligne graphique de Rivages Noir, la collection de François Guérif, mon modèle en matière de littérature policière. Je voulais à tout prix des couvertures sobres, illustrées par des photos de la région, sans chercher à faire du polar à outrance comme c’est parfois le cas chez certains éditeurs qui croient bon de rajouter du sang, des armes et autres objets significatifs en couverture. Dans le cas présent, ma cible n’était pas les polardeux mais les lecteurs nordistes intéressés par des histoires se déroulant dans leur région.

Les préparatifs du lancement de Polars en Nord et de la sortie du Vagabond de la Baie de Somme n’étaient pas très encourageants. Les commerciaux de Ravet-Anceau m’avaient fait remonter les réactions des libraires nordistes qui ne voulaient toujours pas entendre parler de romans policiers écrits par des auteurs du coin. On était en 2005, Franck Thilliez n’avait pas encore percé et tout restait à faire pour que les mentalités évoluent.

La presse et les lecteurs ont pris les libraires par surprise. Quand Ravet-Anceau a présenté Polars en Nord, c’était aussi inattendu que des barils de lessive signés Bonduelle ou du chewing-gum sous la marque Tampax. La plupart des médias nordistes en ont parlé et les curieux se sont précipités dans les librairies pour réclamer les bouquins vus dans le journal. A partir de là, les commandes ont commencé à affluer. La partie était gagnée. En quinze ans, environ 15 000 exemplaires du Vagabond de la Baie de Somme ont été écoulés, et d’autres titres de la collection ont connu une diffusion à faire pâlir d’envie certains éditeurs parisiens. Quand j'ai quitté la maison d'édition, il se vendait en moyenne 4000 polars par mois chez Ravet. Ce succès a duré une dizaine d’années avant de décliner après une série de mauvais choix. Mais c’est une autre histoire…[2]

Polars en Nord existe toujours. Quand Ravet-Anceau a abandonné l’édition de livres début 2019, la collection a été reprise par Airvey Editions, éditeur nordiste spécialisé dans la littérature jeunesse. Fin 2020, Airvey a jeté l'éponge et a cédé les collections Polars en Nord et Polars en Nord junior à Kevin Chalot, ancien commercial de Ravet-Anceau, qui a créé Aubane Editions pour tenter de relancer la marque.

 

[1] Par la suite, nos relations se sont largement améliorées. Alain Bargain, aujourd’hui disparu, suivait d’un air amusé mes diverses tentatives dans le monde du polar régional. Lui et son fils Carl qui lui a succédé, sont devenus des amis. [2] J’ai quitté Ravet-Anceau en décembre 2011 après six ans et demi de présence, pour réaliser un autre vieux projet : faire le tour du monde.

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